Conversation en Sicile : le monde offensé

José Sarzi Amade
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Conversation en Sicile : le monde offensé

 

          Conversation en Sicile – Elio Vittorini (1941)[1] – est le récit d’une brève visite de trois jours en terre natale sicilienne, d’un fils prodigue, Silvestro Ferrauto –Elio Vittorini narrateur–, après quinze ans d’absence dans le nord de l’Italie. Ce retour se fait par le train de Bologne jusqu’en Calabre, la Sicile, Catane et Syracuse, puis en bus pour rejoindre son village de Neve où vit sa mère, Concezione (Vittorini : 2010, 14). En chemin, c’est l’occasion pour Silvestro de renouer contact avec une mosaïque de personnages siciliens, à l’identité forte et au caractère bien trempé, puis avec sa mère, avec laquelle l’évocation des souvenirs fait jaillir la vigueur et l’humour d’une conversation qui ne trahit pas, malgré les affres connus de la pauvreté, de la malaria, du typhus et autres disgrâces (Euvrard : 2000, 49).

          L’omniprésence dans la narration du « favellare » (fabuler), capacité à dire, à raconter des histoires, en définitive à alimenter ces quarante-neuf conversations en Sicile, dans une langue du terroir, pleine de faconde et de mémoire, met en lumière toute l’originalité de ce logos de l’avant seconde guerre mondiale, ayant conservé son sociolecte et ses quelques accents troubadouresques.

          Pour ma part, je vais ici me concentrer sur l’occurrence du thème du « monde offensé » présent dans ces conversations, pour aboutir à une réflexion sur celui-ci, à la lumière du livre de Marshall McLuhan, La galaxie Gutenberg.

 

 

Étranger parmi les siens

 

         Sur le traversier du détroit de Messine, Silvestro tente de converser avec des Siciliens miséreux qui vagabondent de l’île au continent. L’insularité a fait de la Sicile une terre d’émigrés. Son isolement de la péninsule italienne et du reste du continent, a souvent provoqué de nombreuses vagues migratoires.

         Les cinq itérations que Silvestro prononce de « Non c’è formaggio come il nostro »[2] ne suffisent pas à renouer avec les siens, qui, après cette longue absence, l’identifient comme étranger, comme Américain (« Un siciliano non mangia mai la mattina »[3]). Il a beau dire qu’il est natif de Syracuse, il est quelque peu renié par sa communauté qui préfère se convaincre et entendre de sa bouche un mensonge : qu’il est de New York (Vittorini : Convo 3-4, 138-148).

 

Le fatalisme lucide de « l’homo insula » sicilien

 

           Les conversations six et sept se déroulent sur le train qui conduit Silvestro à Syracuse. Un type, surnommé dans la narration le « Gran Lombardo »[4], alerte ses compagnons de voyage au sujet d’une odeur dans le train (« non sentite la puzza? »[5]). Insistant, les passagers finissent par comprendre que cette allusion, au sens figuré, révèle la présence de flics, auxquels le « Gran Lombardo » reproche d’être tous des Siciliens. Il en a contre deux agents de police et leur esprit grégaire, qui, sous l’uniforme, émettent toute sorte de jugements péremptoires à l’encontre des voyageurs (« ogni morto di fame è un uomo pericoloso » ; « […] l’umanità era nata per delinquere », etc.[6]). Silvestro, quant à lui, confirme le fait qu’ayant vécu à Bologne, Florence, Turin et Milan, il a toujours eu affaire à des policiers siciliens. Le « Gran Lombardo » donne alors une explication à ce constat, empreinte de fatalisme, dès lors qu’il introspecte ce peuple sicilien :

 

– Beh del resto è comprensibile… Siamo un popolo triste, noi. […]. Molto triste. Lugubre anzi… Sempre pronti, tutti, a veder nero… […]. Sempre sperando qualcosa d’altro, di meglio, e sempre disperando di poterla avere… Sempre sconfortati. Sempre abbattuti… E sempre con la tentazione in corpo di toglierci la vita. […]. Che fa uno quando si abbandona? Quando si butta via perduto? Fa la cosa che più odia fare… Credo che sia questo… Credo che è comprensibile se sono quasi tutti siciliani.[7]  (Vittorini : Convo 6, 55-59)

 

Suite à cet aveu, le « Gran Lombardo » surenchérit et donne une réplique savante mais non-académique à ses compagnons de compartiment. Sans avoir lu outre mesure, ni être professeur, il leur explique, en philosophe naturel, que l’homme ne trouve plus de satisfaction à remplir ses devoirs moraux qui sont trop vieux, ou trop faciles pour la conscience. Il pense que l’homme est prêt pour accomplir d’autres devoirs, nouveaux et plus satisfaisants que les devoirs actuels consistant seulement à suivre aveuglément les vieux préceptes (Convo 7, 160-164).

 

Réminiscences poétiques

 

         Les retrouvailles de Silvestro avec sa mère Concezione sont organisées dans la narration autour des conversations dix à vingt. Très intimistes et sans fard, elles sont des dialogues entre mère et fils sur les mémoires enfouies de l’enfance, sur les habitudes alimentaires et les faits et coutumes inhérents à cette terre sicilienne. La langue de Concezione est fière, chargée d’oralité, de solennité en toute chose, de franchise et de retenue à la fois ; celle de Silvestro possède le filtre de la ville, elle est bivalente, d’ici et de là-bas[8].

          La rencontre intervient sans émotion ou trépidation artificielles, au contraire, elle laisse de suite la place au naturel du domaine culinaire. Ainsi, sur le pas de porte, Concezione prie son fils d’entrer, en disant : « Ho l’aringa sul fuoco ! »[9]. S’ensuivent des souvenirs de l’enfance de Silvestro, à la saveur aigre-douce, tout comme ces privations, ces hauts et bas de l’existence qui lui donnent aussi plus de sens. En bref, Concezione, dans son rôle de matrone intelligente, sut assaisonner ce quotidien avec le peu de produits dont elle disposait (Vittorini, Convo 11, 180-184). Ainsi, on ne mangeait pas du porc tous les jours, et Silvestro attrapait des cigales dans des endroits infestés par la malaria, peut-être parce qu’il avait faim, dit sa mère. La famille étant en proie à la précarité, vivait petitement de la paie du père et devait se contenter de manger des escargots.

 

– […] Tuo padre prendeva del denaro ogni fine mese, e allora per dieci giorni si stava bene, eravamo l’invidia di tutti i contadini e la gente della zolfare… Ma dopo i primi dieci giorni si diventava come loro. Si mangiavano chiocciole.[10]

  

Fort heureusement, la famille pouvait compter sur Concezione pour rendre la pauvreté  moins amère. Il suffisait alors de préparer les escargots en salade, avec de la chicorée sauvage, bouillis, à l’ail et à la tomate, enfarinés et frits, jusqu’à sucer les coquilles pendant des heures entières (Convo 12, pp. 185-189).

         Les évocations gastronomiques cèdent bientôt la place aux souvenirs de famille et autres indiscrétions. Une des conversations s’arrête sur le grand-père de Silvestro, homme qui attise sa curiosité puisqu’il ne l’a pas vraiment connu, étant trop jeune à l’époque. De là Concezione, admirative de son père, prononce un véritable panégyrique sur le patriarcat. Par conséquent, de son père, elle affirme qu’il fut bon dans tout ce qu’il entreprit : faire de beaux enfants ; construire une maison sans pour autant être un maçon de métier ; travailler jusqu’à dix heures par jour. De même, il était autant remarquable quand il montait à cheval lors des processions de saint Joseph. À ce stade de la conversation, Silvestro est soudainement curieux de savoir si son grand-père était socialiste. La réponse est sans équivoque pour Concezione, qui ne voit aucune contradiction à croire à la fois aux saints et à être socialiste.

 

E mia madre: – Era socialista… Non sapeva né leggere né scrivere, ma capiva la politica ed era socialista…

E io: Come poteva cavalcare dietro a san Giuseppe s’era socialista? I socialisti non credono in san Giuseppe.

– Che bestia tu sei! – disse allora mia madre. – Tuo nonno non era un socialista come tutti gli altri. Era un grand’uomo. Poteva credere in san Giuseppe ed essere socialista. Aveva cervello perché capiva la politica… Ma poteva credere in san Giuseppe. Non diceva nulla di contrario a san Giuseppe[11]. (Vittorini : Convo 13, 190-194)

 

         La suite de l’entretien mère-enfant s’attarde sur des faits quelque peu salaces, qui prennent un tour inattendu. En effet, Silvestro demande des comptes à sa mère concernant sa vie sentimentale. Sur un ton badin – ou mélodramatique– Concezione livre, naturellement inspirée, ses confessions sur les écarts de son mariage. Cette dernière dédaigne au fond plus l’attitude de son mari envers ses conquêtes féminines que la trahison en soi. En effet, mieux aurait fallu qu’il les traitât comme des « sales vaches » et non comme des « reines », d’où le sentiment d’avilissement qu’elle éprouva (Convo 18, 214-219). À cela, son fils lui rétorque que si elle-même n’était pas une « sale vache » quand elle se vengea par deux fois, d’abord, avec un camarade à Messine, puis avec un chemineau dont elle raconte, en bonne samaritaine, avoir simplement donné à boire à un vagabond qui traversait toute la Sicile pour se rendre à Palerme (Convo 19, 220-223). Selon les dires de Concezione, il avait trouvé du travail dans une soufrière à Bivona, avant de périr, abattu par des gardes royaux, parce que gréviste. Cette dernière garde un doux souvenir de ses quelques passages (« Mi portava dei piccoli regali. Una volta mi portò un favo di miele fresco che profumò tutta la casa […]».[12]), tandis que cette histoire laisse rêveur Silvestro, pensant sa mère une « sacrée vache ! » (Convo 20, 224-229).

          À peine sorti de la maison familiale que ce dernier croise un rémouleur à vélo (la meule est intégrée à la bicyclette et il faut pédaler pour l’actionner) :  c’est Calogero qui se languit pour aiguiser quelque chose. Bien soucieux qu’il faudrait aiguiser non seulement des couteaux et des ciseaux, mais aussi des épées et des canons pour que les choses puissent changer dans ce monde, ce rémouleur plein de verve, après avoir affûté le couteau de Silvestro, le lui rend et exulte :

 

Fa piacere arrotare una vera lama. Voi potete lanciarla ed è dardo, potete impugnarla ed è pugnale. Ah se tutti avessero sempre una vera lama! […] – Qualche volta mi sembra basterebbe che tutti avessero denti e unghie da farsi arrotare. Li arroterei loro come denti di vipera, come unghie da leopardo…[13] (Vittorini : Convo 33, 277-279)

 

La conversation « irrésolue » entre Calogero et Silvestro se termine sur un arcane. Les deux campent sur leurs positions. L’un (Silvestro) qui donne deux sous pour avoir eu son couteau aiguisé, et l’autre (Calogero) qui se dit offensé d’une rencontre qui s’est soldée par une transaction alors qu’elle aurait dû, selon lui, être gratuite. Il a donc ces mots : « uno qualche volta confonde le piccolezze del mondo con le offese al mondo »[14] (Convo 34, 280-283).

 

 

La galaxie Gutenberg et le monde offensé

 

           Sivestro Ferrauto revient chez lui, en terre natale, mais les siens se révèlent absents dans leur présent, fantômes de leur passé, figures prosopopéïques dans leurs conversations. Tout ceci à cause du « monde offensé »[15], qui rejaillit dans les échanges entre lui et les Siciliens qu’ils croisent (voir plus haut) : les gens du traversier, ceux du train, sa mère Concezione, Calogero. D’ailleurs la découverte de cette « humanité offensée » s’amplifie davantage dès lors que Concezione accompagnée de son fils se rend dans les recoins infernaux du village, « sombres aux odeurs de fosse » (Vittorini, 240), pour faire des piqûres aux malades (Convo 21-24). Là Silvestro va côtoyer « des oubliés » qui, comme le dit sa mère, « ont soit un peu de malaria, soit un peu de typhus » ; des gens fiévreux, moribonds, humiliés par la précarité de leur condition (pas de gaz, ni électricité ; enfants qui ont faim ; pas d’argent pour se soigner, etc.). Bref, un monde qui attend inexorablement sa mort. Ce sinistre milieu, duquel Silvestro s’est extrait – émigré qui a réussi –, lui fait demander à sa mère : « Mais que penses-tu d’eux (les offensés) ? À cela, Concezione pense seulement que ce sont de pauvres Siciliens, mais surtout sa crainte est que ces derniers ne puissent lui payer ses piqûres. Indigné, Silvestro veut faire comprendre à sa mère que la souffrance de ces personnes est déplorable, mais que bien d’autres, partout ailleurs, pâtissent les mêmes torts. (Convo 27, 249-253). Alors qui est responsable du monde offensé ?

             Une tentative de réponse est à chercher peut-être dans La galaxie Gutenberg. Avec cette étude exhaustive sur la brisure que représenta l’avènement de l’imprimé au XVe siècle en occident, au point d’imposer un nouvel ordre dans les rapports humains, Marshall McLuhan s’attarde sur les conséquences néfastes de la culture alphabétique en occident. L’auteur dresse un constat sans appel sur la destruction des cultures non-alphabétiques qui ont été assimilées, voire éliminées par celles alphabétiques, alors même que celles-ci sont imparfaites et disjoignent la pensée de l’acte (1971 : 78, 38). Aussi, la galaxie Gutenberg (l’expansion de la typographie) a provoqué une diminution de l’éloquence, notamment pour ce qui est de la prononciation et de l’intonation très importante dans l’étude de la rhétorique au moyen-âge (141). La galaxie Gutenberg a séparé les communautés humaines, d’abord, puis les a réduites à l’homologation.

 

L’imprimé est la phase extrême de la culture alphabétique. Dans sa première phase, cette culture détribalise ou décollectivise l’homme. […] L’imprimerie est la technologie de l’individualisme. […] le type même de l’homme intégral, indépendant : il est féodal, « aristocratique », oral. Le nouveau bourgeois, lui, le citadin, a une orientation centre-périphérie : il est visuel, soucieux des apparences, de la conformité et de la respectabilité. À mesure qu’il devient uniforme et qu’il s’individualise, il devient homogène. Il fait partie, il appartient (231, 309-310).

 

            Silvestro qui appartient à la galaxie Gutenberg (comme tout alphabétisé et moderne) est de passage dans le village de sa Sicile natale. Étant donné qu’il se meut vers la périphérie – ce village perdu de Sicile –, il va trouver des gens en retard par rapport à cette galaxie[16], lui étant le produit d’une culture entièrement façonnée par l’imprimé, avec ses conditionnements intrinsèques, ses préjudices moraux ; les autres, des sous-produits de cette galaxie qui profèrent un ersatz de tradition orale – parce que dévoyée par la galaxie Gutenberg – et qui se trouvent relégués hors des zones d’influence. C’est pour cela que, dès son arrivée en Sicile, s’établit entre lui et le reste des natifs une situation d’incommunicabilité. La distance et la brévité des échanges, la défiance entre ces deux mondes en sont la preuve. La langue de Silvestro est cartésienne, formalisée et dilemmatique – langue alphabétique –, la langue de ses interlocuteurs est ancrée, musicale, imprévisible et pleine de mystagogues – propre à la tradition orale. Les historiettes comptées par Concezione ou par les autres sont des propos aigres-doux, riches en fantaisie, en sarcasme, mais où l’on perçoit aussi l’amertume impuissante et sous-jacente des offensés – leur langue est mineure et inaudible dans le concert des koinè globales – et des dépossédés – la modernité les a tirés des structures archaïques et rendus vulnérables.

            Les offenses au monde sont donc enracinées en profondeur (au siècle de Gutenberg). Cependant, malgré les plaintes lancinantes de ces Siciliens, trois personnages successivement rencontrés par Silvestro (Convo 32-37), à la haute symbolique, vont progressivement lever le voile sur l’arcane du « monde offensé ». Il s’agit d’abord du rémouleur Calogero qui voudrait aiguiser les canons, des épées, des couteaux, etc. Vittorino précise qu’il représente l’espoir en une révolution (278). Puis, vient l’homme Ezechiele, dont l’auteur nous dit qu’il est un idéaliste passif (289). Enfin Porfirio, quant à lui le représentant de la culture catholique (296), qui, au lieu des couteaux et autres armes, préconise l’eau vive pour résoudre les offenses au monde. En dépit des différences de mondes, tous les trois ont reconnu en Silvestro quelqu’un qui souffre non pour lui-même, mais pour le monde entier. Ainsi, les quatre s’accordent que la souffrance est un fait universel et non pas personnel (« Il mondo è grande ed è bello, ma è molto offeso. Tutti soffrono per se stesso, ma non soffrono per il mondo che è offeso e così il mondo continua a essere offeso »[17], 287-288). Chacun se sent offensé, mais nullement en comparaison au cosmos. La consolation et la réconciliation doivent pouvoir advenir dans l’acceptation résignée et nostalgique de la souffrance universelle.

 

 

 

Œuvres citées 

 

  • Bulot Thierry, « Variations et normes d’une langue » dans Une introduction à la sociolinguistique : pour l’étude des dynamiques de la langue française dans le monde (éds. Bulot Thierry et Philippe Blanchet), Archives contemporaines, Paris, 2013, pp. 43-71.
  • Euvrard Michel, Gens de parole et de causerie / Sicilia! De Jean-Marie Straub et Danièle Huillet. 24 images, (101), 49–49, 2000.
  • McLuhan Marshall, La galaxie Gutenberg : la genèse de l’homme typographique, Éditions Hurtubise HMH, Montréal, 1971.
  • Vittorini Elio, Conversazione in Sicilia (Illustrazioni di Renato Guttuso, Nota al testo di Sergio Pautusso), Rizzoli, Milano, 2010.

 




[1] Le roman est adapté au cinéma par le couple Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, sous le nom de Sicilia! (1999). Fidèles à la langue dialectale du texte, toute empreinte d’oralité, les Straub-Huillet restituent une partie des conversations du roman.
 

[2] T.d.A. : « Il n’y a pas de fromage comme le nôtre. »

 
[3] T.d.A. : « Un Sicilien ne mange pas le matin. »
 

[4] En référence à Bartolomeo della Scala, qui accueillit Dante Alighieri lors de son exil de Florence.

 
[5] T.d.A. : « Vous ne sentez pas l’odeur ? »

 
[6] T.d.A. : « Un affamé est un homme dangereux » ; […] « l’humanité était née pour malfaire. »

 
[7] T.d.A. : « – Eh bien du reste c’est compréhensible… Nous sommes des gens tristes nous. […]. Vraiment tristes. Lugubres même… Toujours prêts à voir en noir… […]. Espérant toujours quelque chose, de différent, de mieux, et toujours désespérés pour l’avoir… Toujours découragés. Toujours abattus… Et toujours avec la tentation au corps de s’ôter la vie. […] Que fait-on quand on se rend ? Quand on se lance perdu ? On fait la chose qu’on déteste le plus… Je crois que c’est cela… Je crois que ça se comprend qu’ils sont presque tous Siciliens. »

 
[8] D’ailleurs, en sociolinguistique, on dirait que la langue de Concezione est marquée par sa géographie (variation diatopique) et son appartenance à la société campagnarde (variation diastratique), tandis que la langue de Silvestro est muable ; ses style et registre linguistiques changent en fonction des situations sociales dans lesquelles se trouve le locuteur (variation diaphasique) (cf. Bulot : 2007, 47-50).

 
[9] T.d.A. : « J’ai le hareng sur le feu. »

 
[10] T.d.A. : « – […] Ton père touchait de l’argent chaque fin de mois, et donc pendant dix jours, on était bien, on était envié par tous les paysans et les gens de la soufrière… Mais après les premiers jours, on devenait comme eux. On mangeait des escargots. »

 
[11] T.d.A. : « Et ma mère : – Il était socialiste … Il ne savait ni lire ni écrire, mais il comprenait la politique et il était socialiste…

Et moi : Comment pouvait-il se balader à cheval derrière saint Joseph s’il était socialiste ? Les socialistes ne croient pas en saint Joseph.

– Qu’est-ce que tu es bête ! – dit alors ma mère. –Ton grand-père n’était pas un socialiste comme les autres. C’était un grand homme. Il pouvait croire en saint Joseph et être socialiste. Il avait de la tête parce qu’il comprenait la politique… Mais il pouvait croire en saint Joseph. Il ne disait rien de contraire à saint Joseph. »

 
[12] T.d.A. : « Il m’apportait des petits présents. Une fois, il m’apporta un rayon de miel qui embaumait dans toute la maison. »
 

[13] T.d.A. : « Cela fait plaisir d’aiguiser une vraie lame. Vous pouvez la lancer et c’est un dard, vous pouvez l’empoigner et c’est un poignard. Ah si chacun avait toujours une vraie lame ! […] – Quelquefois il me semble qu’il suffirait qu’ils aient tous des dents et des ongles à faire aiguiser. Je leur aiguiserai comme des dents de vipère, comme des ongles de léopard. »

 
[14] T.d.A. : « quelquefois on confond les petitesses du monde avec les offenses faites au monde ».

 
[15] L’offense – comme l’a écrit Giorgio Bassani en recension (mai 1942) au roman de Vittorini – concerne non seulement le microcosme dans lequel ils vivent, mais l’univers entier, ce qui confère aux Conversations en Sicile une dimension universelle : « una Sicilia reale, […] – qui come in tutto il mondo, Persia e Venezuela compresi –tra offensori e offesi, tra inerti e virili, tra vivi e morti. » (Vittorini, 81).

 
[16] La galaxie Gutenberg (l’expansion de la société typographique) effectua son développement dans le nord de l’Europe, elle fut ensuite définitivement propulsée par la révolution industrielle et maintenue en avantage depuis, grâce à sa suprématie technologique.

 
[17] T.d.A. : « Le monde est grand et beau, mais il est très offensé. Tout le monde souffre pour soi-même, mais on ne souffre pas pour le monde qui est offensé et ainsi le monde continue à être offensé. »

 

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